L’imagination et la créativité de l’enfant nous surprennent sans cesse. Mais en quoi cette créativité est-elle importante dans le développement de l’enfant et pour sa future vie d’adulte ? Alors, pourquoi faut-il la cultiver et comment l’encourager ?
Pour répondre à nos questions, nous avons rencontré un spécialiste de la créativité de l’enfant mais aussi de la l’adulte. Philippe Brasseur est auteur de livres pour enfants, illustrateur, consultant mais aussi conférencier, peintre… bref, un expert de la créativité !
Philippe Brasseur, expert de la créativité de l’enfant
Bonjour Philippe, qui êtes-vous ? 😊 Quels sont vos projets actuels ?
Je me dis « cultivateur d’idées » : mon métier est d’aider enfants et adultes à faire éclore leur créativité naturelle, au service de leurs projets et de leur épanouissement. Je le fais en écrivant des livres et des articles, en animant des conférences, des formations, et en étant facilitateur d’intelligence collective. J’interviens dans deux mondes, ceux de l’entreprise et de l’éducation.
Je forme beaucoup d’enseignants à la pédagogie créative : comment utiliser la créativité de l’enfant, son imagination naturelle, son ouverture, sa curiosité, son goût pour le jeu et l’expérimentation autonome… comme moteur de tout apprentissage. J’interviens via des réseaux de formation des enseignants.
Par exemple, la semaine dernière j’animais une formation à Rennes pour des professeurs de lettres. Le sujet était : « comment donner aux enfants le goût d’écrire ». En parlant avec les enseignants présents, je me suis rendu compte que les deux tiers d’entre eux n’aimaient pas écrire. Dans ce contexte je me donne comme mission d’allumer l’enthousiasme des enseignants, au point qu’il devienne contagieux vis-à-vis de leurs élèves.
Selon moi, la créativité est une compétence transversale, essentielle pour les enfants dans tous leurs apprentissages, mais aussi pour les adultes qui les accompagnent.
Mais du coup, c’est quoi la créativité ?
Être créatif c’est être créateur de soi-même, se réaliser en tant que personne comme disait le psychologue Carl Rogers. Dans cette logique, le rôle de l’adulte est d’éveiller à ce que son potentiel, ses envies, ses goûts et l’amener à cultiver ce qu’il a de meilleur en lui.
C’est ce qui anime les écoles aux pédagogies alternatives : accompagner l’enfant pour qu’il apprenne par l’expérimentation, l’autonomie. Quel est votre avis sur ces pédagogies alternatives ?
J’ai moi-même mis mes enfants dans des écoles aux pédagogies alternatives (Freinet et Decroly). Ces pédagogies développent chez l’enfant leur curiosité et le questionnement, soit la capacité de se mettre en recherche et d’oser expérimenter.
Malheureusement, dans l’enseignement traditionnel on tend à stigmatiser l’erreur, en particulier en France. On encourage l’enfant à se conformer aux attentes des adultes… et c’est potentiellement dramatique pour la créativité de l’enfant.
Parfois, on croit bien faire en le félicitant abondamment mais cela aussi contribue à renforcer ce conformisme. L’enfant risque fort de devenir dépendant des compliments de l’adulte.
C’est vrai ! On réagit comme cela car on veut valoriser l’enfant, le féliciter et l’encourager. Mais comment réagir alors pour l’aider à aller plus loin ?
Mieux vaut s’intéresser sincèrement à lui, et à ce qu’il a fait : « Tu as fait un dessin ? Qu’est ce que tu as dessiné ? De quoi es-tu content ? ». On le valorise par son propre jugement, on commence par reconnaître son action et on le laisse lui juge de son travail – et des possibilités d’amélioration.
Favoriser la créativité de l’enfant : les bons outils
C’est en découvrant Eurêk-art, que nous avons voulu rencontré son auteur. Comment en êtes-vous arrivé à écrire Eurêk-art ?
En fait, ce n’est pas mon premier livre. En l’an 2000, j’ai quitté mon métier de rédacteur en chef de magazines pour enfants pour me lancer comme auteur-illustrateur. La première éditrice que j’ai rencontrée a refusé tous mes projets, mais sur le pas de la porte elle m’a dit « Ça vous dirait d’écrire un livre sur la créativité de l’enfant à destination des parents ? ». Ce fut le déclic.
Depuis je suis devenu formateur en créativité, et dans ce travail j’utilise beaucoup d’images. Etant peintre moi-même, je trouve que les images sont un super support pour faire parler les gens. Gaston Bachelard a dit « l’image est une scène de théâtre de l’imaginaire ». Cette citation est particulièrement vraie pour les œuvres d’art. Aujourd’hui, les œuvres d’art sont le résultat du besoin de l’artiste de s’exprimer, de laisser sortir les images qui « appellent » à l’intérieur de lui.
Malgré tout le cœur qu’a mis l’artiste dans son œuvre, on a tendance à regarder l’objet d’art sans se projeter, sans le ressentir. Dans les musées on consomme de l’information sur la vie de l’artiste, sa technique, mais on passe à côté de ce que NOUS y voyons.
J’ai donc voulu faire un livre grâce auquel on joue avec les enfants à regarder, à ressentir et à imaginer.
Au départ, j’avais fait une version beaucoup plus complexe que j’ai longtemps gardée dans un tiroir. Je suis retombé dessus 6 ou 7 ans après et en la revoyant j’ai réalisé que c’était beaucoup trop compliqué. Je l’ai simplifiée en ne proposant que 30 images et 30 consignes très simples, et voilà le résultat !
Résultat : Eurêk’art est un ouvrage ludique et pédagogique en double lecture, comme un double livre. Dans le livre du haut ce sont des images, des tableaux, des œuvres d’art. Dans le livre du bas, nous pouvons faire défiler des consignes liées à l’observation, au sentiment et à l’imagination : Décrivez l’image à quelqu’un qui ne la voit pas – Quelles questions vous inspire cette œuvre ? – Ecoutez cette image, qu’entendez-vous ?
Quelques mots sur le rôle de l’adulte dans l’utilisation du livre par l’enfant ?
Il est là pour jouer avec lui, pas pour lui apprendre quoi que ce soit. Ensemble, on prend le temps de se poser devant les images, de les découvrir, tout en se découvrant l’un l’autre, en profondeur. Il faut quitter ce rapport professeur-élève. Si on joue vraiment le jeu, l’enfant a beaucoup à nous faire découvrir sur l’art ! Et puis ce temps de qualité qu’on passe avec lui signifie toute la valeur qu’on accorde à l’enfant, et à la relation.
Des astuces ou des idées d’activités simples à mettre en place pour que les enfants découvrent de manière fun les œuvres d’art?
En s’inspirant d’Eurêk-art, je ferais plein de choses. Par exemple vous pouvez rassembler des cartes postales d’œuvres d’art et demander à l’enfant de raconter une histoire à partir de celles-ci. La première carte est le personnage, la seconde sa quête (ce qui lui manque, dont il a besoin) ; puis chaque carte suivante est un obstacle ou une aide pour notre héros (on joue avec un dé : pair c’est une aide, impair un obstacle). On peut également le faire avec des jouets.
Autre idée d’activité : faire un domino des images. On place des images les unes à la suite des autres et on demande à l’enfant de trouver le point commun entre deux images placées côte à côte. Et pour augmenter la difficulté, l’enfant ne peut pas répéter deux fois le même point commun.
Pendant leurs gardes nos smartsitters nous racontent que les enfants débordent de créativité et d’idées ; comment faire en sorte de les aider à développer cette créativité ? Des astuces ? Des méthodes ?
S’ils débordent, laissons-les d’abord nous abreuver de leurs idées d’activités ! Puis sachons leur en proposer, qui soient portées par une consigne motivante. Un des secrets pour formuler une consigne créative est d’articuler liberté et contrainte. Il faut donner un cadre aux enfants tout en leur laissant un espace suffisamment grand d’expression.
Par exemple, j’ai un jour proposé l’exercice suivant à des enfants : j’ai un appareil photo et vous avez une chaise à votre disposition, nous allons réaliser 5 photos originales et rigolotes, surprenez-moi ! Pour la première photo, les enfants se sont assis sur la chaise ; à la suivante elle est devenue un parasol : puis elle s’est transformée en personnage… De photo en photo, leur créativité s’est libérée. Le cadre et les consignes étaient succincts mais offraient néanmoins une grande marge de manœuvre.
De la créativité de l’enfant à celle de l’adulte : les clés
Comment garder la créativité de notre enfance dans des missions d’adulte ? On a l’impression que seuls les enfants peuvent avoir des idées folles, que l’adulte est trop terre à terre et qu’il est champion pour « tuer dans l’œuf » les belles idées.
Chaque adulte pourrait faire sienne cette phrase d’Eleanor Roosevelt : « Faites chaque jour quelque chose qui vous fait peur ». Être créatif, c’est se mettre en danger, oser prendre des risques et surtout prendre conscience de ce qui freine sa créativité. Ce qui freine l’adulte, ce sont ses peurs : peur de l’échec, du jugement, de la nouveauté, du changement…
Je connais beaucoup de gens qui ont des envies, des projets mais ne vont pas jusqu’au bout. Or pour écrire un livre par exemple, ou pour réussir tout projet un peu nouveau et ambitieux, on ne peut faire autrement que traverser un océan de doutes, l’angoisse de la page blanche, la peur de ne pas aboutir… Être créatif demande du courage.
Comment vaincre cette peur ? Comment la dépasser pour atteindre ses objectifs ?
Il faut penser en alternatives. Beaucoup de gens ont des rêves, des envies, et il est essentiel de les nourrir, pour nous tirer vers l’avant. Mais si elles sont trop complexes, trop longues, trop éloignées de nos possibilités, cela peut nous décourager : il faut pouvoir « traduire » ces rêves en réalité.
Cela me rappelle une anecdote. Une maitresse avait lu « L’énorme crocodile » de Roal Dahl. Les enfants ont adoré l’histoire et ont voulu en faire une pièce de théâtre. Mais là, instantanément, l’enseignante a évalué les difficultés : créer des décors, organiser des répétitions, inviter les parents … Pour pallier aux difficultés à venir et capitaliser sur l’enthousiasme et la créativité des enfants, elle leur a proposé de jouer la pièce tout de suite. Ils ont alors monté une pièce de théâtre en un clin d’œil !
La leçon de cette histoire est d’oser se lancer, avec audace… au risque, peut-être, d’échouer. Eduquer, c’est aussi encourager cette prise de risque dès l’enfance. En effet, la créativité de l’enfant est une compétence essentielle. Savez-vous qu’un jeune adulte d’aujourd’hui exercera en moyenne 13 métiers différents… dont la plupart n’existent pas encore ? Il est clair qu’il sera mieux armé dans la vie, si dès l’enfance il a été encouragé dans sa créativité.
Parfois en tant qu’adulte on peut avoir des idées un peu folles, des moments de créativité, mais on ne sait pas comment les réaliser, on ne va pas au bout de son idée. Comment faire ? Comment s’y prendre ?
Selon Roger Von Oech, tout créatif doit pouvoir incarner quatre personnages : un explorateur (curieux), un artiste (imaginatif), un juge (critique) et un conquérant (déterminé). Chaque personnage est moteur d’une action et ces quatre compétences sont indispensables pour mener un projet créatif à bien.
En entreprise, il faut apprendre à être consciemment créatif pour transformer son idée en solution concrète. Malheureusement beaucoup d’adultes ont peur de l’échec, de ne pas y arriver mais aussi du jugement des autres. Mon travail est de les encourager à la créativité, les décloisonner. Je travaille le management de la créativité, je leur donne des clés pour la stimuler.
Concrètement, comment vous y prenez-vous ?
J’organise des ateliers. Je forme des groupes de travail qui réfléchissent en autonomie sur des problématiques de l’entreprise et apportent leurs idées de solutions.
Et pour vos idées à vous, comment faites-vous pour les mettre en œuvre avec autant de facilité ? Vous entreprenez mille projets simultanément !
Selon moi, la discipline est la clé. Une de mes astuces très personnelles est d’utiliser un agenda. Parfois lorsque j’ai une idée mais que je n’ai pas le temps de la travailler, je note dans mon agenda de me consacrer à cette idée à une certaine date. C’est la contrainte choisie qui m’aide à réussir mes projets !
Un projet à venir dont vous aimeriez nous parler ?
« La grande fabrique à idées » : c’est un livre-jeu sur la créativité, basé sur les associations d’idées
Un dernier conseil pour nos smartsitters ou tout jeune qui a plein de projets et d’ambition ?
Osez !
Un immense merci Philippe Brasseur pour votre temps et tous les précieux conseils que vous avez su nous transmettre. Les smartsitters ont toutes les clés pour mieux comprendre la créativité de l’enfant et développer la leur, mais nous aussi. A nous de jouer ! 🙂